Crues remarquables du 9 mars 2024 entre le Gard, l'Ardèche et la Lozère

Un épisode précipitant d'une intensité remarquable s'est produit entre le vendredi 8 et le samedi 9 mars 2024 essentiellement entre le Gard, la Lozère et l'Ardèche, même si les précipitations ont aussi touché abondamment les départements voisins notamment une partie de l'Hérault. A l'heure de rédaction de ce retour d'expérience, le bilan est très lourd : 5 décès et encore 3 personnes portées disparues. Compte tenu de l'intensité inhabituelle de cet épisode surtout pour un mois de mars, nous décidons d'en rédiger un compte rendu complet. 

1) Un contexte météorologique explosif pour un mois de mars : 

Alors que l'hiver 2023 - 2024 a été majoritairement anticyclonique sur notre pays et surtout nos régions méditerranéennes, un net changement de circulation atmosphérique a été observé ce début mars sur nos contrées. En effet, un anticyclone s'est formé entre l'Islande et la Scandinavie. Ce type de configuration météorologique favorise un abaissement des couloirs dépressionnaires et c'est précisément ce qu'il s'est passé, avec le développement de dépressions très dynamiques sur un axe Groenland - Atlantique - nord de l'Espagne et France. 

Le vendredi 8 mars, une première goutte froide dépressionnaire a circulé entre l'Espagne et le golfe de Gascogne. Ce fut le début de l'épisode cévenol avec des intensités d'abord modérées. Le samedi, une puissante goutte froide s'est positionnée entre proche Atlantique et Méditerranée. Il y a eu deux minimums dépressionnaires en concurrence : le premier sur le golfe de Gascogne (pression atmosphérique voisine de 980 hPa) et le second s'est formé sur les littoraux du Languedoc (990 hPa). Cette méso-dépression a piloté un flux de sud-est extrêmement dynamique, avec des rafales de 80 à 100 km/h sur les plaines et 120 km/h sur les reliefs. Un flux de sud-est chargé en eau précipitable... mais aussi instable avec le développement d'orages. 

2) Chronologie de l'épisode : des pluies et chutes de neige dès vendredi, s'intensifiant samedi : 

Les premières précipitations sont observées sur les Cévennes dès la nuit de jeudi à vendredi, faibles et irrégulières. Le vendredi matin, des pluies ont brièvement concerné les plaines du Roussillon et de l'Aude, avant de s'intensifier temporairement en arrivant sur l'Hérault et le Gard vers la mi-journée. Vendredi après-midi, les pluies ont persisté surtout du Gard aux Cévennes. Il neige alors dès 1100/1200 m entre l'Aigoual et le Mont-Lozère. Jusque là, c'est une situation très ordinaire malgré des précipitations qui sont temporairement soutenues près de l'Aigoual et du sud Mont-Lozère.

L'activité précipitante, certes faible à modérée, a persisté tout au long de la nuit de vendredi à samedi sur les Cévennes mais a généralement cessé sur nos plaines. Il s'agit de la phase de "transition" entre la première goutte froide qui s'évacue, et l'arrivée progressive du deuxième système dépressionnaire par l'Atlantique. Ci-dessous, voici les imageries radars du vendredi 8 mars à 12h45 (carte de gauche) et de vendredi 22h (carte de droite).

Samedi matin, le vent marin commence à se renforcer sur les plaines de la région. Le caractère orographique (près des reliefs) des précipitations s'est confirmé, puisque de grosses averses se sont enchaînées tout au long de la matinée, sur les Cévennes avec un maximum d'intensité de l'Aigoual au Mont-Lozère. Fait inhabituel, malgré un vent marin prononcé, les précipitations ont gagné toutes les plaines de l'Est de l'Hérault et de l'Ouest du Gard, ainsi que la Lozère et l'Ardèche. En mi-journée, un couloir précipitant un peu plus marqué (intensités de 5 à 10 mm/h) s'est organisé entre Montpellier / Pic Saint-Loup / Aigoual et Cévennes. 

Samedi après-midi, une aggravation s'est produite là où l'on l'attendait : des plaines du Gard jusqu'à la Lozère et l'Ardèche. Sur les imageries radars ci-dessous, on constate la présence de lignes pluvieuses intenses sur les plaines du Gard, notamment autour de Nîmes, remontant dans la convergence du sud vers le nord. Les intensités ont atteint parfois 20 à 30 mm/h ce qui commence à être significatif bien que loin d'être exceptionnel sur notre région. Le vent de sud s'est encore renforcé, avec des rafales de 90 à 100 km/h entre Nîmes et Montpellier notamment. Ce vent marin a fait remonter la limite P/N temporairement jusqu'à 1400/1450 m sur l'Aigoual et le Mont-Lozère, 1300 m côté Ardéchois. Durant cette phase diurne, des orages ont éclaté autour de Mende en Lozère, témoignant de l'instabilité de la masse d'air. 

3) La soirée et nuit de samedi à dimanche : renforcement des précipitations ! 

Entre la fin d'après-midi, la soirée et durant une bonne partie de la nuit, une convergence de basses couches peu mobile a perduré surtout du Gard à la Lozère ainsi qu'en Ardèche. Malgré un vent marin toujours aussi fort, des axes pluvio-orageux parfois marqués ont circulé du sud vers le nord. C'est dans l'intérieur du Gard qu'ils ont été les plus intenses, avec des lames d'eau parfois supérieures à 20 mm/h sur des sols saturés par les pluies des dernières 24h. Ce caractère pluvio-orageux bref explique en partie pourquoi les cours d'eau ont réagi si violemment pour des cumuls finaux non exceptionnels dans la région. 

On retrouve ci-dessous les images radars de minuit et de 1h du matin. On constate des noyaux fortement précipitants sur les plaines du Gard. De bonnes précipitations remontent aussi vers la Lozère et l'Ardèche, mais un cran moins intense tout de même ce qui explique pourquoi les crues ont été un cran plus sévères du côté du Gard. 

Il faudra attendre la fin de nuit pour voir les précipitations se destructurer et se décaler à l'Est du Rhône. Vers 03/04h du matin, les pluies restent intenses de l'intérieur des plaines Gardoises (bassin Alésien/Uzège/Cèze) à toute l'Ardèche. En fin de nuit, des petits axes pluvieux persistent, mais on commence à voir la perturbation principale se décaler franchement vers l'Est. On peut observer cette évolution sur les imageries radars ci-dessous. 

4) Cumuls observés durant l'épisode pluvieux : 100 à 150 mm en plaines et jusqu'à 300 mm sur les Cévennes :

L'épisode précipitant a duré environ 48h surtout sur les Cévennes, avec des phases plus irrégulières sur les plaines. Le paroxysme des précipitations sur les plaines est observé entre samedi après-midi et la nuit de samedi à dimanche (en 12 à 18h de temps selon les secteurs). Les cumuls atteignent souvent 170 à 230 mm sur les Cévennes (des limites de l'Hérault/Gard en passant par toutes les Cévennes du Gard, de la Lozère et de l'Ardèche) avec des pointes voisines de 250/300 mm sur le versant sud du Mont-Lozère et près du Tanargue/Croix de Bauzon.

Plus inhabituel, on relève souvent 100 à 130 mm des plaines Nîmoses à tout l'intérieur du Gard, notamment autour de l'Uzège et du val de Cèze, ponctuellement 150 mm sur le Haut-Gard. On a donc de gros cumuls aussi bien sur les plaines que sur les Cévennes, avec des précipitations phasées qui ont entraîné des crues généralisées et simultanées. Quelques relevés officiels durant l'épisode : 104.1 mm à Nîmes-Courbessac (NOUVEAU RECORD ABSOLU pour un mois de mars du cumul pluvieux en 24h). Sinon, près de 120 mm à Uzès et 130/140 mm dans les gorges de la Cèze. Ci-dessous, on vous propose une cartographie des cumuls globaux de l'épisode.

5) Il a également fortement neigé sur les reliefs, notamment au-dessus de 1400 m :

La limite P/N a fluctué durant l'épisode. Il a neigé dès 1100 m le vendredi, puis temporairement au-dessus de 1400 m le samedi fin de journée, avant de redescendre vers 1000 m la nuit suivante. D'importants cumuls neigeux ont été observés sur les sommets : près de 40/50 cm sur l'Aigoual, jusqu'à 80/90 cm au sommet du Mont-Lozère ainsi que sur les sommets Ardéchois. La Margeride n'est pas en reste, avec souvent 20 à 40 cm tombés à des altitudes un peu plus basses (1200 m) car l'air froid a mieux résisté dans cette zone. Situation non exceptionnelle, mais qui est devenue assez rare ces dernières années. 

Quelques photos réalisées par nos équipes durant l'épisode : 

6) Les conséquences de cet épisode : 

Des crues importantes (mais loin d'être exceptionnelles) ont été observées sur les cours d'eau cévenols, notamment les Gardons et la Cèze où il s'agit souvent des plus hauts niveaux depuis 2014. Des débordements localisés se sont produits. La catastrophe humaine provient malheureusement de comportements humains inadaptés : le passage sur des ponts submersibles déjà submergés. Le bilan est très lourd puisque cinq personnes sont décédées et trois sont encore disparues. 

Globalement, les inondations n'ont pas entraîné de graves dégâts matériels, se limitant aux zones très vulnérables et connues pour être facilement inondables. 

L'une des conséquences positives : l'arrêt de la sécheresse entre le Gard, la Lozère et le sud de l'Ardèche. En enchaînant deux épisodes significatifs en moins de dix jours, la situation hydrique s'est fortement améliorée sur ces zones. Les pluies ont été bénéfiques pour la nature. Amélioration aussi sensible sur l'Est et le nord de l'Hérault. La sécheresse reste grave du Biterrois au Roussillon en passant par l'Aude. 

7) Des crues remarquables pour un mois de mars : 

Le Gardon a atteint 8.58 m à Russan (Gard), soit la plus grosse crue depuis 2014. Voir graphique ci-dessous de vigicrues. 

La Cèze a atteint 7.67 m à Tharaux (Gard) et 8.69 m à Bagnols-sur-Cèze (Gard) source vigicrues : 

L'Ardèche a atteint 8.54 m à Vallon Pont d'Arc (Ardèche) à quelques centimètres de la crue de 2016... (source vigicrues) : 

Ci-dessous, le Gardon au niveau du pont de Russan (merci à Pauline pour sa photo) : 

Ou encore La Cèze à André de Roquepertuis via Bernard Garcia :

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